LA CIGALE

Sans blague, j'ai passé dix-sept ans sous terre, à cinquante centimètres de profondeur, dix-sept ans pour me préparer à ma vie adulte. Dix-sept ans de ténèbres et de solitudes sans nom, enfermée dans une étroite cellule, à me nourrir de la sève des racines que je perforais à l'aide de ma puissante trompe.
Après ce long enfermement, j'ai reconnu l'année et le jour exact où, enfin, j'allais me montrer au jour. J'ai commencé alors à me frayer un chemin vers la surface et j'ai émergé, je m'en souviens très bien, au moment précis où apparaissaient aussi mes sœurs du même lit. Pour obtenir une telle synchronisation, il nous a fallu calculer les mois de trente et trente et un jours, et les années bissextiles.
Connaissant mon histoire, qui oserait me reprocher de passer l'été à chanter, sans penser (au contraire de l'industrieuse fourmi) au prochain hiver.
De toute façon, messieurs, je suis condamnée à mourir avant l'arrivée des premiers froids.

Dans "Histoires naturelles" de Javier Tomeo (Bestiario 1988; Traduction denise Laroutis, Collection Ibériques, José Corti, 1993)