Libération 5 juin 2001
Abeilles sans boussole
ENTOMOLOGIE. L'abeille a quitté la ruche, volé quelques mètres, trouvé l'eau sucrée qui l'attendait et est retournée dare-dare au nid pour avertir ses consurs. Ses colocataires ont eu beau observer sa danse avec attention, elles n'ont jamais retrouvé la nourriture promise. Elles sont parties à des lieues du site indiqué. Bizarre pour des spécialistes du langage des signes, capables de décortiquer le moindre pas de danse pour s'en servir de boussole. Harald Esche de l'université de Notre-dame (Indiana) et son équipe ont une explication (1). Et pour cause: ce sont eux les responsables de ce mauvais aiguillage. Ils ont brouillé l'ordinateur de bord des insectes en faisant passer leur éclaireuse à travers un tunnel long (6 m) et étroit (10 cm). «On a longtemps supposé que les abeilles mesurent la distance qu'elles parcourent à l'énergie qu'elles dépensent, explique Juergen Tautz, qui a participé à l'étude. Ce n'est pas vrai. Elles utilisent et interprètent reflux d'images qu'elles reçoivent. » Or le passage dans le tube produit un effet d'optique et donne l'impression à l'abeille partie en repérage de percevoir plus d'informations visuelles quelle n'en reçoit. Du coup, lorsqu'elle parcourt 6 mètres dans le tunnel, elle est persuadée d'avoir volé sur 200 mètres. C'est ce quelle indique aux autres butineuses. Et les abeilles qui la regardent danser la croient. «La question était de savoir si elles allaient se rendre là où la danseuse avait trouvé l'eau sucrée en passant par le tunnel ou bien si elles allaient chercher la nourriture loin de" en suivant les instructions erronées indiquées par la danse», explique Juergen Tautz; en prenant la bonne direction mais sans passer par le tunnel et donc sans être victimes du même effet d'optique que l'éclaireuse. En constatant qu'elles se trompent, les chercheurs viennent d'«asseoir une bonne fois pour toutes le rôle de la danse chez les abeilles», assure-t-il. «Comme il n'y a ni nourriture là où la chorégraphie de leur compagne de ruche les envoie, ni abeille exploreuse pour leur servir de guide, ni odeurs, la danse de leur camarade est la seule raison qui a pu les amener là.»
JULIE LASTERADE
(1) Nature du 31 mai 2001.