"Pour se diriger, ces insectes ont réalisé un calcul trigonométrique"

 

Le robot cousin de la Cataglyphis

Ce robot, Sahabot 2, imite la capacité de la fourmi à s'orienter grâce à la lumière polarisée. Dans le ciel, la lumière est dispersée par les molécules de l’atmosphère : les ondes lumineuses s’orientent selon un modèle précis par rapport au méridien solaire (la ligne imaginaire qui coupe le soleil à son zénith). Les yeux de la fourmi dotés de récepteurs sensibles aux orientations de la lumière polarisé «lisent » ces lignes de lumière invisibles, pour l’œil humain. équipé de capteurs identiques Sahobot 2 peut se repérer dans n'importe milieu.

http://www.ifi.unizh.ch/groups/ailab/projects/sahobot/

Le professeur Rüdiger Wehner étudie les Cataglyphis du désert depuis plus de vingt-cinq ans. En combinant les études de comportement sur le terrain avec des analyses neurophysiologiques et des simulations sur ordinateur réalisées en laboratoire, il a démontré l'existence d'un compteur kilométrique chez ces fourmis...

Ça m'intéresse : Comment font-elles pour se diriger, sans repères ?

Rüdiger Wehner : A la différence de la majorité des autres espèces de fourmis, nous savons que les Cataglyphis ne peuvent compter sur les pistes de phéromones (les odeurs quelles produisent pour communiquer) pour retrouver leur chemin, puisque celles-ci ne durent  sur le sable. du fait. notamment de la chaleur et du vent. Aussi, quand elles décident de rentrer chez elles, un trou minuscule situé à l00 ou 200 mètres quelque part à la surface du désert, elles doivent pouvoir déterminer à coup sûr dans quelle direction et à quelle distance se trouve leur nid. Pour la direction, nous avions établi quelles utilisent la lumière polarisée dans le ciel comme un compas. La façon, en revanche, dont elles mesurent les distances demeurait pour nous une énigme. Elles auraient pu. bien sûr, simplement compter le nombre de pas quelles font. Le problème, c'est que si cette stratégie fonctionne parfaitement sur terrain plat, elle se révèle inefficace sur la surface irrégulière et mouvante du désert. En fait, nous venons de mettre en évidence que les fourmis n'enregistrent pas la distance réelle parcourue dans leur monde en trois dimensions, mais la projection de ce trajet tridimensionnel sur un plan horizontal.

ÇM: Comment avez-vous réussi à montrer que les fourmis se livrent à une telle opération ?
R.W.: Nous en avons entraîné à chercher leur pitance le long d'un couloir au relief vallonné. La nourriture se trouvait toujours à la même distance, et les fourmis se sont habituées à chercher après avoir accompli le trajet correspondant.

Dans un second temps, nous avons transféré les insectes dans un autre couloir, parallèle au premier, mais cette fois totalement plat. Les fourmis commençaient leur exploration après avoir parcouru une distance non pas équivalente à celle réalisée au total dans le premier couloir, mais égale à la projection de celle-ci sur un plan horizontal, c'est-à-dire beaucoup moins longue. Elles ont donc mesuré chaque segment effectué sur les plans inclinés en même temps que les angles d'inclinaison, déterminés, eux, à partir des variations de la gravité. Elles ont ensuite réalisé une sorte de calcul trigonométrique qui leur a permis d'obtenir la «distance horizontale ». Exactement comme Pythagore l'aurait fait. Rappelons au passage que le cerveau de cet insecte ne pèse qu'un dixième de milligramme.

Ç.M. Travailler sur d'aussi petits animaux doit être complexe. Comment, par exemple, par exemple, différenciez-vous vos cobayes les uns des autres?

R.W. Nous marquons chaque individu grâce à un code de trois couleurs peint sur Les différentes parties du corps. Chaque point de couleur représente un numéro le blanc veut dire 1, le bleu, 2, etc.
Ainsi, par exemple, une fourmi avec un point rouge sur la tête, un bleu sur le thorax et un blanc sur l'abdomen serait l'individu numéro 231. Mais vous savez, nous pratiquons toutes sortes de manipulations nous sommes même capables de poser des lentilles sur les yeux des fourmis afin de modifier la couleur du ciel ou la quantité de lumière qu'elles perçoivent

Jean-Pierre Vrignaud