Interview de Cécile Plateaux-Quénu
2 août 2019
 Je commence par la fin 
  de mon parcours. Je cite une publication, la dernière, qui m’a 
  causé du souci et donné beaucoup de travail.
  Je pense qu’Evylaeus albipes, choisie aussi par Sarah Kocher 
  (voir plus bas), est l’espèce d’Halictinae la plus intéressante 
  dans notre pays du fait de son polymorphisme social. Elle a un comportement 
  solitaire ou social selon la région considérée. Mais Evylaeus 
  marginatus, mon sujet de thèse, est pour moi la plus belle et la 
  plus originale car elle ne ressemble à aucune autre. J’en parlerai 
  par la suite, avec mon début de parcours.
 Je suis retraitée 
  depuis 1995. En collaboration avec divers collègues, je commence par 
  rédiger des travaux en cours. Je poursuis pendant 12 années mon 
  élevage, installé dans le sous-sol de notre maison de Ludres, 
  avec quelques arrêts et reprises. Cette période de travail en toute 
  liberté me plaît vraiment. Après le congrès Insectes 
  Sociaux de Washington (2006), je décide de résumer les résultats 
  obtenus au cours de ces dernières années de recherche, de faire 
  une mise au point de l’état social des Halictinae et de justifier 
  la place qu’elles occupent parmi les insectes sociaux. Je soumets donc 
  un manuscrit à la revue Insectes Sociaux : « In Halictine bees, 
  subsociality reveals either eusociality or a reversion to secondarily solitary 
  life ». Les referees sont critiques : - n’utilisez pas le terme 
  « subsociality » (qui est le clou de l’affaire !) - Evylaeus 
  villosulus peut être considérée comme subsociale (j’ai 
  prouvé qu’elle était solitaire en 1985 et 1986 !) - clarifiez 
  le texte qui mélange données anciennes et nouvelles (çà, 
  pour le coup, c’est très valable, OK) etc…..Conclusion : 
  ce manuscrit demande une « extensive and careful revision ».
  Je recompose tout, Je réécris mon texte, j’en change le 
  plan. Penelope Kukuk, une de mes collègues américaines que j’estime 
  beaucoup pour sa grande objectivité, me propose son aide. Par ordinateurs 
  interposés nous passons le nouveau texte au peigne fin. Tout ce qui n’est 
  pas strictement dans le sujet gicle. Pour chaque espèce, deux paragraphes 
  sont prévus, anciens résultats et nouvelles observations. Mon 
  point de vue est totalement respecté, ma terminologie aussi et « 
  subsociality est maintenu dans le titre devenu « Subsociality in halictine 
  bees ». Le manuscrit est finalement accepté et publié par 
  Insectes Sociaux en 2008. Cela a été long et exigeant. Merci Penelope. 
  Et ouf !
  Bientôt, en 2010, je reçois un e-mail d’une certaine Sarah 
  Kocher, postdoc à Harvard. Elle a lu mon article. Mon thème de 
  recherche l’intéresse et elle veut me rencontrer en personne. Je 
  la convoque aussitôt et elle arrive par le train, un bouquet de fleurs 
  dans les bras. Nous discutons longuement. Elle veut poursuivre l’étude 
  que j’ai entreprise sur le polymorphisme social d’Evylaeus albipes 
  (1989,1992 et 1993) et considère le problème sous l’angle 
  génétique. Elle est très au courant, manifeste un grand 
  enthousiasme. Je lui montre la salle d’élevage, les cages de divers 
  modèles : elle photographie tout. Je lui donne des insectes piqués, 
  lui explique tous mes « trucs » d’élevage. Elle revient 
  à la maison quelque temps plus tard et emporte, dans sa voiture, deux 
  cages démontées. Nous l’emmenons dans les Vosges pour lui 
  montrer les biotopes. 
En 2013 nous quittons définitivement 
  Ludres et nous installons à Audresselles. Bientôt, Sarah vient 
  nous voir sur place avec les dernières nouvelles de son travail qui a 
  bien démarré. Trois années plus tard, elle devient Professeur 
  de Faculté à Princeton. Je vois que son travail avance vite car 
  elle m’a envoyé récemment la copie d’une note publiée 
  par elle dans Nature 2018 avec 5 collaborateurs : « The genetic basis 
  of a social polymorphism in halictid bees ». De nombreuses différences 
  génétiques existent entre les albipes solitaires et sociales. 
  Des variants génétiques associés à ce polymorphisme 
  ont été identifiés, dont syxla qui est impliqué 
  dans l’autisme chez l’homme.
  Je suis très heureuse de cette situation. J’ai passé la 
  main. Sarah poursuit un thème de recherche qui me tient à cœur. 
  Ses connaissances en génétique lui permettent d’attaquer 
  le problème de manière nouvelle et efficace. Elle a la gentillesse 
  de me tenir au courant de son travail, de ses résultats et je me réjouis, 
  avec elle, de ses succès. Et l’histoire continue. Je suis curieuse 
  de connaître la suite car les Halictinae, ce sont vraiment des insectes 
  FANTASTIQUES. Je considère Sarah comme une réponse heureuse liée 
  à la publication d’un article qui m’aura donné du 
  fil à retordre. 
Notes ajoutées 
  par AL
  - Kocher, S. D., R. Mallarino, B. E. R. Rubin, D. W. Yu, H. E. Hoekstra and 
  N. E. Pierce (2018). The genetic basis of a social polymorphism in halictid 
  bees. Nature Communications 9(1): 4338. 10.1038/s41467-018-06824-8
  - Plateaux-Quénu, C. (2008). Subsociality in halictine bees. Insect. 
  Soc. 55(4): 335-346. 10.1007/s00040-008-1028-z