Interview Anne-Catherine Mailleux

Mis à jour 03-Fév-2021       

- ton parcours :
Un parcours atypique, c’est le mot adhoc. Varié aussi. J’ai été caissière en grande surface, secrétaire dans une boite de pub, peintre en bâtiment, serveuse dans des restau, des cafés, encodeuse pour une firme pharma, et puis un beau matin, j’ai pris la décision rigolote de commencer un master en science à 26 ans. Qui a été suivi par une thèse, puis par un chapelet disparate de postdoctorats. Ensuite, un master en business administration suivi de la création de ma propre entreprise à 50 ans. Depuis, je suis une very busy-ness woman.

- comment a débuté ton intérêt pour les fourmis ?
Etonnement sans aucun romantisme. Le labo d’étude comportementale consacré aux fourmis était à coté du restau où je servais des spaghettis bolognaises à des étudiants affamés. C’est pourquoi je l’ai choisi comme thème de mémoire. Etudier le comportement des fourmis a donc été un choix très pragmatique mais depuis je les aime, je les ai adoptées et je les aime bien plus que mes propres puces.

- ta thèse :
Une étude des comportements individuels et collectifs chez Lasius niger. L’objectif était de mettre en évidence les stratégies alimentaires choisies par les fourmis individuellement et par les colonies en fonction des contraintes environnementales. Bref décrypter le codage individuel conduisant aux choix collectifs alimentaires. Mes chefs adulés étaient Jean Louis Deneubourg et Claire Detrain. Cinq années à regarder les fourmis courir sur des petits ponts en carton, tout en lisant Weber.

- ton parcours et situation actuelle, lien encore avec les fourmis ?
L’entreprise que j’ai créée, Domobios (www.domobios.com), est une société de recherche et développement, et production de pièges contre les arthropodes domestiques et agricoles nuisibles (acariens des matelas, punaises de lits, cafards, fourmis de feu…) . La particularité : des pièges sans toxiques, sans insecticides et qui fonctionnent mieux que ce qui existe sur le marché. Pour parvenir à cela, il faut étudier chaque bestiole attentivement, durant plusieurs années, pour comprendre comment elle se comporte ; où elle aime se réfugier, comment elle choisit son refuge en fonction des couleurs, les matières, des odeurs ; comment elle communique lorsqu’elle est piégée, donc faire des observations comportementales en évitant les biais expérimentaux. Cette méthodologie vient en héritage direct de ce que j’ai appris durant ma thèse.


Citer 3 animaux

- Lasius niger reste la plus belle à mes yeux. Elégante dans sa robe de soirée noire, elle ne mord les chercheurs que par amour et juste du bout des mandibules, pour le principe. Elle marque ses traits de phéromone de piste à petits coups d’aiguillon précis et calme comme une télégraphiste sous camomille concentrée.
- le plus intéressant : Dermatophagoides, acarien des matelas allergisant. Son organisation sociétale, basique mais efficace, était une surprise et un plaisir à découvrir. Je pense que c’est le seul animal qui fabrique des abris pour les petits, des abris dont les piliers et les murs sont des poils de barbe encollés de crottes et les tuiles du toit sont des exsuvies.
- le plus bizarre : La punaise de lit et ses amours piquantes. Monsieur plante son pénis dans le dos de Madame, les spermatozoïdes migrent alors plusieurs jours dans l'hémolymphe de la femelle avant de féconder les ovules. A noter que Madame, après son dépucelage, n’apprécie plus guère le contact avec les mâles et à tendance à les fuir. Ce qui gène très peu Monsieur qui perce tout ce qui passe à sa portée, y compris d’autres mâles, des nymphes ou des fourmis (on revient toujours aux fourmis).

- citer 3 publis, dont celle que tu considères comme la meilleure et celle qui t'a demandé le plus de travail, et celle qui t'a le plus posé de pb.

- la meilleure : “Regulation of ants’ foraging to resource productivity”, dans les Proceeding of the Royal Société of London. Ma préférée, elle est la synthèse de ma these.
- le plus de travail : Mites and ticks (Acari) . un travail de recherche biblio, ce qui n’est pas ma tasse de thé.
- le plus de problèmes techniques : « Collective migration in house dust mites » Comment suivre le comportement d’animaux minuscules, visibles uniquement au binoculaire et éclairage et qui fuient la lumière ? Sans compter que récolter des acariens dans les lits des étudiants a été une aventure épique ! C’était une véritable épopée, tracée au scalpel à travers des restes de pizzas, des préservatifs oubliés, des biscuits pourris et tout le jardin zoologique typiquement propre aux jeunes homo sapiens éloignés de leurs parents.

Enfin un conseil à donner à un jeune qui commence
-Evite les études comportementales d’animaux allergisants, c’est trop trop …aaaaaaAAAATCHA … chiant.

Ajouter 2 ou 3 photos
Je n’ai pas pris de photo durant ma thèse, c’était avant l’époque des gsm.
Par contre, je dessinais.
Voilà quelques dessins (revenir page principale)