Résumé de thèse de Jean-Christophe Lenoir
Résumé
Cardiocondyla elegans est une fourmi méditerranéenne
que l'on retrouve sur les bords de Loire. Cette espèce possède
quelques particularités, comme par exemple avoir des mâles aptères.
Les objectifs de cette thèse étaient de comprendre sa biologie,
ses stratégies de reproduction ainsi que les caractéristiques
de son environnement. Pour cela, nous avons utilisé une approche multidisciplinaire,
menant des études de pédologie, d'écologie et de botanique
(caractérisation de l'habitat et de l'environnement), ainsi que de génétique
et d'éthologie (structure génétique des nids et des populations,
détermination du génotype et comportement des sexués).
Après avoir confirmé génétiquement la monogynie
de cette espèce (une seule reine entourée d'environ 200 ouvrières),
nous nous sommes attachés à analyser l'habitat de C. elegans.
Le nid est creusé dans le sol jusqu'à 40 cm de profondeur. Il
est composé, comme celui de nombreuses autres espèces, d'un conduit
vertical reliant une dizaine de chambres superposées. En milieu ligérien,
C. Elegans se retrouve uniquement sur les grèves en voie de fixation.
Nous avons montré que la composition des sédiments de ces grèves
était importante pour la survie de cette fourmi. Durant l'été,
elle permet dans les chambres les plus profondes, de conserver une température
constante inférieure à 30°C avec de très faibles variations
quotidiennes. Durant les crues, les sédiments composés de moins
de 60% de sable, ne sont que très peu entraînés par le courant
(grèves " fixées "). De plus ils permettent, lors de
la remontée de la nappe alluviale, la création de poches d'air
nécessaires à la survie des fourmis. L'étude de la répartition
spatiale des nids au cours des années nous a révélé
que 40% des nids disparaissent d'une année sur l'autre suite aux conditions
hivernales. Cependant, suffisamment d'individus sexués, en l'occurrence
des femelles fécondées, survivent pour fonder de nouveaux nids.
La population étudiée de C. elegans sur les bords de
Loire montre une forte densité avoisinant 1 nid/m2. Les grèves
fixées étant des environnements morcelés, les nids entrent
en compétition pour l'espace et se distribuent de façon régulière.
Ainsi, moins de 1% des femelles réussissent à fonder de nouveaux
nids. De Juillet à Septembre, les nids matures produisent des individus
sexués. Alors que les femelles sont ailées, C. elegans
possède une particularité par rapport aux autres fourmis : elle
ne produit que des mâles ergatoïdes (sans ailes) tolérants
entre eux. Nous avons déterminé que lors de la période
de reproduction, les nids contenaient en moyenne 5,3 mâles ergatoïdes
et 76,6 femelles ailées. La reine est généralement fécondée
par plusieurs mâles. Ainsi les individus du nid sont issus de la même
mère mais peuvent avoir des pères différents (en moyenne
4,5 fratries par nid). En analysant la structure génétique des
populations nous pouvons dire que 30% des accouplements impliquent des individus
non apparentés. Ce fait est dû à la présence de nombreux
sexués étrangers à l'intérieur des nids. La présence
d'individus étrangers dans des colonies monogynes est singulière
et nous a amené à nous interroger sur les stratégies de
reproduction de C. elegans. Des tests comportementaux nous ont permis
de mettre en évidence que les mâles étaient toujours acceptés
lorsqu'ils tentaient de pénétrer dans une nouvelle colonie, contrairement
aux femelles ailées qui sont systématiquement attaquées.
La présence de femelles ailées dans des nids étrangers
est liée à leur transport par des ouvrières, un comportement
que nous avons observé sur le terrain en période de reproduction.
Ces échanges de sexués pourraient permettre de diminuer la consanguinité
à l'intérieur de la population, évitant ainsi la production
de mâles diploïdes (stériles) et procurer une meilleure résistance
de la population en cas de changements environnementaux. L'étude de cette
fourmi nous a permis de mettre en évidence une stratégie de reproduction
originale, décrite ici pour la première fois. Notre étude
révèle également que C. elegans est la seule espèce
de fourmis à être adaptée aux conditions environnementales
des grèves en fixation. La seule présence de cet organisme, au
même titre que certaines espèces végétales, permet
de caractériser une étape de l'évolution morphologique
des chenaux secondaires de la Loire.