Le miel et les pesticides
Alain
Lenoir mis à jour
14-Jul-2019
On me pose souvent la question de la qualité du miel par rapport aux pesticides. Le miel est-il un aliment sain ? Contient-il des pesticides ? Est-ce que les abeilles sont capables de détoxifier les pesticides ?
En ce qui concerne la dernière question, la réponse est oui mais
avec une capacité limitée. On vient de séquencer le génome
de l’abeille et l’on a découvert que ces insectes ont très
peu de gènes pour l’immunité et la détoxification
des molécules nocives. On sait que l’abeille (comme la fourmi)
bénéficie de la vie en société pour se défendre
contre des attaques de pathogènes (bactéries, virus, parasites,
toxiques) grâce à divers comportements hygiéniques (toilettage,
rejet des individus malades). En conséquence, l’évolution
a éliminé un certain nombre de gènes de défense
immunitaire moins utiles pour ces insectes. Il en est de même pour les
gènes de détoxification des substances chimiques végétales
(par exemple du nectar des fleurs) et des insecticides (The honey bee genome
consortium 2006). Parmi ces gènes on trouve les cytochromes P450s monooxygénases
efficaces dans la détoxification des xénobiotiques (= substances
étrangères aux produits naturels du vivant). La plupart des insectes
en ont 80 ou plus alors que l’abeille en a seulement 46. C’est ainsi
que les acaricides (contre le varroa) comme le coumaphos et le fluvinate (Apistan)
peuvent théoriquement être détoxifiés par trois enzymes
(Mao et al. 2013).
Diverses recherches de contaminants
ont été réalisées sur des abeilles, du miel et du
pollen en particulier dans les pays de Loire près de Nantes en 2011 et
2013. Les résultats montrent la présence de 37 pesticides, et
surtout d’acaricides comme l’amitraze (Apivar - 68% des miels avec
des doses parfois énormes, jusqu’à 116ng/g) et le coumaphos
(77%) dans tous les ruchers, un fongicide le carbendazime (64%, jusqu’à
88ng/g – interdit dans l’UE depuis 2009 !!) et 6 insecticides (Wiest
et al. 2011; Lambert et al. 2013). Cela montre que la détoxification
par les abeilles fonctionne mal. À noter que les néonicotinoïdes
comme l’imidaclopride sont mal dosés avec la méthode utilisée
par ces auteurs, elle n’est trouvée que dans 3% des miels alors
que d’autres études le trouvent dans 22% et ce sont surtout les
métabolites qui sont encore plus nocifs. La contamination semble venir
souvent du pollen où l’on trouve des néonicotinoïdes
et leurs dérivés parfois à forte concentration (170 ng/g
d’acétamipride et thiaclopride) (Giroud et al. 2013). Une analyse
réalisée par 60 Millions de consommateurs (Chairopoulos and Bequet
2011) sur 76 échantillons de miel trouve des résidus d’antibiotiques
et de pesticides (y compris certains interdits) dans presque tous les échantillons
(dont le Chlorfenvinphos, insecticide interdit depuis 2007). Les miels «
bio » s’en sortent mieux : 7 bio indemnes sur 10 sélectionnés
par 60MC. Dans tous les miels les résidus sont à des limites inférieures
aux taux réglementaires, basés sur la LD50, dose létale
pour 50% des abeilles testées, ce qui ne signifie rien car on sait bien
que des doses infimes sont nocives pour ces insectes. Les miels de montagne,
d’acacia ou de lavande sont aussi contaminés, mais à moindre
niveau pour la montagne. Il en est de même pour les miels de l’île
d’Ouessant, probablement par les pesticides apportés par le vent.
Des mesures d’air dans la région de Nice ont bien montré
que l’air est chargé de pesticides et que par exemple à
Menton où la mairie pratique le zéro pesticides l’air est
plus sain (Anonyme 2014). Le miel peut aussi concentrer des métaux comme
le plomb, le cadmium et le chrome comme cela a été trouvé
dans d’anciennes mines en Sardaigne (Satta et al. 2012). On retrouve hélas
dans le miel des microparticules de plastique, mais c’est sans doute une
pollution générale (N'Sondé 2014). La cire est aussi un
excellent capteur de pollution. En Espagne on y a trouvé des phtalates,
des particules fines aromatiques polycycliques (PAHs) et des résidus
de médicaments utilisés en apiculture (benzyl benzoate contre
le varroa) qui doivent passer au moins un peu dans le miel. La cire des rayons
capte aussi beaucoup les polluants comme les phtalates, les PAHs et bien sûr
les traitements acaricides (taufluvalinate et coumaphos) (Gómez-Ramos
et al. 2016). Gómez-Ramos et al. 2019 confirment que l'on retrouve des
phtalates dans le miel.
On parle beaucoup du miel de ville, la mortalité des ruches y est plus
faible (pas plus de 10%, soit trois fois moins que dans les autres ruchers)
mais on n’a pas de données sur la qualité du miel (Razemon
2011). On sait juste qu’en ville il y a beaucoup de particules fines dues
au diésel et aux cheminées à bois, et que ces particules
sont très nocives et équivalent à du tabagisme passif.
Elles doivent se retrouver dans le miel.
Conclusions
Il semble que le principal problème du miel vient des acaricides utilisés
par les apiculteurs… Il faut respecter les règles, c’est-à-dire
6-7 semaines pour les bandelettes et les enlever ensuite. Certains apiculteurs
les laissent tout l’hiver, d’où une contamination importante
car les acaricides sont stockés dans la cire avec une rémanence
pouvant aller jusqu’à 5 ans. D’autres produits comme les
fongicides (très utilisés en arboriculture) et les insecticides
sont aussi présents parfois en forte concentration.
Pas de parano : le miel est encore un aliment sain comparé aux fruits
et légumes de la grande distribution, ou du vin … (non bios !).
Choisir du miel d’un petit producteur d’une région avec peu
d’agriculture intensive et peu de monoculture. Surtout pas de miel hors
UE qui arrive tout droit de Chine !!! (Sauf le miel australien où il
n’y a pas de varroa, donc pas d’acaricide, mais ce n'est pas souvent
indiqué).
Pour plus d’infos voir le livre « Nos abeilles en péril »
(Albouy and Le Conte 2014).
Le miel Biologique (site web http://www.mielbio.org/)
: des ruches entourées de cultures biologiques ou sauvages sur un rayon
de 3 km. Des zones de butinage éloignées des sources de pollution
: villes, autoroutes, zones industrielles, décharges. Des ruches en matériaux
non traités, sans peintures ni vernis synthétiques. Des cadres
en cire biologique à l’intérieur des ruches. Des abeilles
nourries de leur miel essentiellement et soignées à l’homéopathie
ou à la phytothérapie. Des traitements naturels exclusivement.
Une récolte excluant l’emploi de répulsifs chimiques. Une
extraction à froid et pas de chauffage.
Références
- Albouy, V. and Y. Le Conte (2014). Nos abeilles en péril, éditions
Quae. 192
- Anonyme (2014). Pesticides. Ils polluent l'air aussi. Que Choisir 528: p.
11.
- Chairopoulos, P. and A.-L. Bequet (2011). Le miel n'échappe pas à
la pollution. 60 Millions de consommateurs Octobre 464: p. 30-35.
- Giroud, B., A. Vauchez, E. Vulliet, L. Wiest and A. Buleté (2013).
Trace level determination of pyrethroid and neonicotinoid insecticides in beebread
using acetonotrile-based extraction followed by analysis with ultra-high-performance
liquid chromatography-tandem mass spectrometry. Journal of Chromatography A
1316: 53-61.
- Gómez-Ramos, M. M., A. I. García-Valcárcel, J. L. Tadeo,
A. R. Fernández-Alba and M. D. Hernando (2016). Screening of environmental
contaminants in honey bee wax comb using gas chromatography–high-resolution
time-of-flight mass spectrometry. Environmental Science and Pollution Research
23: 4609-4620. 10.1007/s11356-015-5667-0
- Gómez-Ramos, M. M., S. Ucles, C. Ferrer, A. R. Fernández-Alba
and M. D. Hernando (2019). Exploration of environmental contaminants in honeybees
using GC-TOF-MS and GC-Orbitrap-MS. Science of The Total Environment 647: 232-244.
https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2018.08.009
- Lambert, O., M. Piroux, S. Puyo, C. Thorin, M. L'Hostis, L. Wiest, A. Buleté,
F. Delbac and H. Pouliquen (2013). Widespread Occurrence of Chemical Residues
in Beehive Matrices from Apiaries Located in Different Landscapes of Western
France. PLoS ONE 8(6): e67007. 10.1371/journal.pone.0067007
- Mao, W., M. A. Schuler and M. R. Berenbaum (2013). Honey constituents up-regulate
detoxification and immunity genes in the western honey bee Apis mellifera. Proceedings
of the National Academy of Sciences 110: 8842-8846. 10.1073/pnas.1303884110
- N'Sondé, V. (2014). Des microplastiques jusque dans le miel. 60 millions
de consommateurs 497: p. 28-29.
- Razemon, O. (2011). Les abeilles font leur miel en ville. Le Monde 2 juillet.
p. 25.
- Satta, A., M. Verdinelli, L. Ruiu, F. Buffa, S. Salis, A. Sassu and I. Floris
(2012). Combination of beehive matrices analysis and ant biodiversity to study
heavy metal pollution impact in a post-mining area (Sardinia, Italy). Environmental
Science and Pollution Research 19(9): 3977-3988. 10.1007/s11356-012-0921-1
- The honey bee genome consortium (2006). Insights into social insects from
the genome of the honey bee Apis melifera. Nature 443: 931-949.
- Wiest, L., A. Buleté, B. Giroud, C. Fratta, S. Amic, O. Lambert, H.
Pouliquen and C. Arnaudguilhem (2011). Multi-residue analysis of 80 environmental
contaminants in honeys, honeybees and pollens by one extraction procedure followed
by liquid and gas chromatography coupled with mass spectrometric detection.
Journal of Chromatography A 1218(34): 5743-5756. http://dx.doi.org/10.1016/j.chroma.2011.06.079